Une Nouvelle de Sophie Nougué / Part 6/
– La première fois que j’ai reçu le bain, j’étais dans le ventre de ma mère. Elle était venue à la source des origines accompagnée de ses sœurs. Je suis né pendant la nuit. Je suis le fils de tout ce qui nous entoure, la nuit, le jour, la terre, l’eau, l’air, l’éther. Je suis né chaman par la volonté des dieux. Je vois les yeux fermés et j’écoute l’invisible, j’ai tout appris de cette façon. Quand tu portes les esprits du Monde plus grands que toi, tu portes la paix et l’émerveillement. Il n’y a pas de fausse note dans l’univers, si tu es présent à ce qui est ici et maintenant, tu es en lien avec tout. L’énergie circule partout, tout le temps. Végétal, animal, minéral, nous ne sommes qu’un. La vie, c’est notre âme qui la dessine. Il n’y a pas de juste ou de faux, de bon ou de mauvais. Chaque moment qui arrive est celui qui t’es destiné. Si tu ne sais pas pourquoi, la vie, elle, elle sait, fais lui confiance. Rêve grand, rêve plus grand que toi, la force de l’univers c’est d’accueillir les rêves du monde. Si ton rêve englobe tous les rêves, il s’accomplira dans l’abondance. Porte un rêve aimant qui inspire le monde. Tout est possible, tu le sais?
– Oui
– Je suis heureux et fier de t’avoir conduite ici. Cette nuit, la source te donnera un nom, celui de la vie que tu portes depuis les origines. Suis le soleil, c’est ton guide à partir de maintenant. Tu atteindras la source avant la nuit.
Je suivais le soleil sans me dérouter. Mon esprit était joyeux. La voix de Yellow résonnait dans mon cœur, je sentais sa présence à mes côtés. Il était là, lui et tous les autres à chacun de mes pas. J’étais portée par la joie d’accueillir bientôt ce rituel exceptionnel. Elle me comblait au delà de tout ce que je n’avais jamais imaginé.
Au moment où les rayons du soleil traversaient les feuillages jusqu’à toucher ma poitrine, j’arrivais à la source. Elle était d’une incroyable beauté. Elle avait la forme d’une grande vasque ronde et profonde aux pierres polies recouvertes de mousses d’un vert tendre. De fines bulles montaient du fond. Je passais de longues minutes à l’admirer. L’eau verte translucide était traversée de reflets dorés. Des racines d’arbres plongeaient dedans en s’appuyant sur les rochers disposés tout autour dans un alignement parfait. L’une d’elles ressemblait à une main de géant. L’arbre qui s’élevait au dessus de ces cinq doigts qui cramponnaient le roc et la terre était d’une vitalité stupéfiante. Des lianes de fleurs pendaient des branches et se posaient délicatement autour du bassin. Je posais mon sac et enlevait mes habits. Je caressais les jointures de ces doigts parfaitement dessinés et disposais quelques fleurs à la surface de l’eau. Je les regardais flotter délicatement, quand l’arbre émit un souffle. Les fleurs se mirent à danser en ondulations subtiles. Elles tourbillonnaient et je fus prise moi aussi d’une envie subite de danser. Je chantais et dansais sur un rocher surplombant la source. Le reflet d’un visage qui n’était pas le mien me souriait. Je dansais toute la nuit portée par l’ivresse du chant des oiseaux et des parfums de la forêt.
J’étalais les feuilles et les fleurs contenues dans mon petit sac. Je leurs parlais tout en les mélangeants comme j’avais vu Yellow le faire. Je les pressais, les écrasais délicatement avec un caillou. Le rêve que je porte s’élevât de ma bouche. Ma voix était sûre. Mes mains étaient fortes. Des couleurs sortaient de mes doigts et s’élevaient vers la cime des arbres. Des éclairs se formaient et plongeaient dans la source. Je passais mes mains sur mon corps, mon visage, mes cheveux. Instantanément, un arc en ciel de couleurs recouvrit ma peau. Je dansais pieds nus sur la terre, les racines, les mousses. Je sentais glisser sur mon corps, le souffle chaud de la matrice. Je dansais sans interruption jusqu’à ce que le premier rayon du jour nouveau se pose au centre de la source.
Délicatement, je glissais dans l’eau, me laissant couler les yeux grands ouverts. Sur les pierres du fond, de minuscules petits escargots aux coquilles en spirale formaient quatre lettres: AHAM.
Je restais sans bouger ni respirer accueillant les vibrations de l’eau pendant de longues minutes. J’étais redevenue une seule et unique goutte d’eau. Une voix à résonné :
“ Tu es là partie la plus sacrée de toi-même, chemin de vie originel. Tu es enracinée dans les mondes subtils. Tu es AHAM, déterminée à suivre la voie qui est la tienne.”
Le soleil baignait d’une douce lumière la surface de l’eau. Tout était paisible. Je serrais dans ma main les petits coquillages, sublimes compagnons de ce nouveau jour.
Yellow, se glissa dans l’eau. Son corps était recouverts d’arabesques. Seule la main d’un dieu avait pu dessiner des formes aussi délicates. Il me sourit. Un grand éclat de rire et des larmes de joie inondèrent mon cœur.
– Tu as dansé toute la nuit et ta danse à tracé ces cercles sur mon corps, les mêmes que ceux des coquillages que tu tiens dans ta main. Dès à présent, tous ceux que tu rencontreras, tes amis, ta famille, tes alliés, tous ceux qui se sont éloignés ou perdus sont à nouveau réunis par la danse du cœur. A chaque fois que tu tends la main, l’univers porte ton message car tu es AHAM, l’âme d’un nouveau chemin. Ce n’est pas ce que tu reçois qui est important mais la façon dont ton esprit accueille la vie.