Revenir aux sources /Part 5/

Une Nouvelle de Sophie Nougué. Part 5

Au fur et à meure que nous avancions, mon esprit s’allégeait. Je ne pensais plus à rien. Les couleurs me semblaient plus éclatantes que la veille. Chaque plante se paraît d’une multitude de nuances, d’un vert tellement brillant, qu’elle semblait avoir été lustrée à l’encaustique. Quand aux chants des oiseaux, ils étaient si nombreux et variés, qu’il m’était impossible de les compter encore moins les identifier. Oiseaux, animaux, arbres chacun exprimait sa joie d’être là, elle résonnait de toutes parts. Aucune fausse note. De temps à autres, un chant prenait le dessus. Le soliste sifflait son répertoire avec une telle force, qu’il semblait surprendre ses congénères. Tous se figeaient, admiratifs et puis, tout repartait de plus belle. Le miracle de cette partition que personne n’a jamais écrite, c’est qu’elle était sans fin, nuit et jour, elle retentissait. Un chant s’arrêtait, un autre apparaissait immédiatement. La forêt débordait de vie, d’amour, de beauté, pas un seul instant, en aucun endroit, le laid ou le mal n’avait leur place. Un léger souffle de vent suffisait à déclencher une discussion. Les branches des arbres se touchaient les unes aux autres et la vie bruissait. Ils se saluaient, se racontaient des histoires, des éclats de rire résonnaient. Nous n’étions pas seuls perdus dans une forêt millénaire, nous étions des milliers réunis dans une forêt enchantée.

Yellow lui aussi fredonnait une mélopée que j’avais l’impression de connaître sans être vraiment sûre de l’avoir déjà entendu. Il marchait devant moi, il ne s’éloignait plus comme il l’avait fait la veille. De temps à autres, je le voyais cueillir des fleurs et les mettre dans son sac. C’est pour le bain, me disait-il, la source aime les fleurs. Je le trouvais beau. L’attitude, les gestes de ce petit homme me touchaient profondément. Il me faisait penser à ma grand mère paternelle. Des souvenirs revenaient. Elle aussi m’emmenait dans les bois derrière sa ferme quand j’étais gosse. Elle aussi cueillait en marchant. Je me souviens des tisanes et cataplasmes qu’elle élaborait. Elle avait ce même savoir empirique, elle comprenait les secrets que les plantes transmettent à ceux et celles qui ont les yeux regardants, les yeux du cœur. Quels que soient les continents, les gènes, la couleur de la peau, les hommes et les femmes en lien avec la vibrance du Monde portent en eux la force pure de la matrice. Au fur et à mesure que nous avancions, je mesurais la chance, le privilège d’être dans l’énergie de liens sacrés. Au delà des consciences, un ordre supérieur et bienfaiteur veillait sur nous.

Chaque son, chaque parfum, chaque odeur puissante de fleurs, de terre ou de bois nourrissait profondément chaque particule de mon corps. La forêt était restée en moi, elle avait infusé, distillant avec patience son nectar nourricier. J’étais heureuse, j’avançais portée par le bonheur et la gratitude de l’instant. Je ne trébuchais plus, je n’avais plus besoin de regarder où je posais mes pieds, ils étaient sûrs d’eux et me promenaient avec une étonnante facilité. Le sourire aux lèvres, émerveillée par la beauté pure de cette nature préservée, je vivais la vie dont j’avais toujours rêvé. J’en étais là de mes réflexions, quand Yellow s’arrêta en pointant du doigt, une trouée au milieu des arbres.

– La source est là-bas ! On va se reposer un peu, je vais t’expliquer comment préparer les feuilles et puis tu vas y aller seule.

Je ne quittais pas son visage des yeux. Il avait dit cela en souriant. Continuer seule jusqu’à la source. Son visage était doux et confiant. J’étais émue sans oser lui dire.

– Le rituel du bain dans la source des origines, tu vas le faire seule. Gardes les feuilles et les fleurs avec toi ! Tu as vu comment je faisais, hier? Aujourd’hui, tu fais avec tes gestes à toi. Le bain des origines, c’est celui de l’intégrité. Se détacher de tout, purifier l’esprit, recevoir la paix. Toute la nuit, la source prendra soin de toi. Les esprits sont là aussi, ils t’attendent. D’autres encore vont venir. Tu écouteras ce qu’ils ont à te dire et tu prendras le bain. A partir de maintenant ta famille, c’est celle des esprits, tous les esprits de la forêt, de la terre, de l’eau, des animaux, de l’air. Tout est Esprit. Demain matin quand le rituel sera fini, je viendrais te retrouver à la source.

Suite prochainement….