Part 1. Une nouvelle écrite par Sophie Nougue
-Demain, je t’emmène à la source
-Demain?
Le regard du petit homme porte le Monde et ses histoires. Celles qui s’écrivent depuis des millénaires dans les racines des arbres et l’eau des rivières. Il a la connaissance de l’invisible, de la terre, du vent et des étoiles. Son esprit s’immisce dans mes cellules. Depuis plusieurs jours déjà, je sais qu’il me prépare à accueillir la source qui jaillit du volcan, la source de feu, celle qui naît au cœur la terre et traverse les roches. La mère de toutes les sources. Elle coule jusqu’à l’océan et lui offre la mémoire de la création.
-Tu es dans la huitième stance de ta huitième vie, tu es une vieille âme, tu as assez de force et de sagesse pour transmettre le secret de l’Eau maintenant. Ce n’est pas moi qui décide, c’est elle, qui t’a choisit.
Je pose mes pas dans ses empreintes. Il se faufile avec une dextérité digne d’un animal. Avant de partir, il a dit « on marchera des jours et des nuits, on mangera ce que nous offre la forêt, il y a de tout partout. Tu n’auras qu’à tendre les bras. Tu ne dormiras pas. Tu seras comme l’eau qui coule sans jamais s’arrêter. Deux jours et deux nuits et puis on arrivera à la source».
Je l’ai écouté sans broncher. Je me moque de la fatigue, des collines à gravir de celles à dévaler. Je veux me baigner dans la source. Rien n’a plus d’importance que de plonger mon corps dans l’eau des origines du Monde.
Pendant des heures et des heures, la forêt me transmet son énergie et inhibe ma fatigue. L’homme marche ou court dans feuillages qui me lacèrent les bras et le visage. J’entends le bruissement des herbes sur son passage, je ne le vois plus, je n’arrive jamais à le rattraper. Il file, il court, il vole son corps est porté par des forces invisibles. Je bois, je transpire, je remplis ma gourde, plonge ma tête dans la rivière, je repars, je cours pour le rattraper, mes tempes battent. Je glisse, je dérape, je tombe, me relève, je repars, je ne veux pas le perdre. Cela fait des heures que cela dure. Descendre les vallées, arpenter les collines, plonger dans les rivières, repartir. Trouver la source. La forêt est de plus en plus dense, de plus en plus haute.
Le rythme intense de la course a raison de ma raison. Je ne pense plus depuis longtemps. Je suis dans le souffle et seul le souffle m’habite. Mon guide parle. Je dis oui. Oui à quoi, je ne sais pas. Oui, ça va. Oui, continue, avance, marche, court! Je rêve d’eau. Me baigner, plonger la tête dans la matrice.
Il fait nuit depuis longtemps. Le guide dit qu’on va vers la lumière. Je le crois sur parole. Je ne vois rien, j’avance, guidée par des forces invisibles, irrésistibles, puissantes. Je suis portée par l’énergie qui au fur et à mesure des heures se transforme forme en transe. Je ne ressens aucune fatigue. Je suis tellement heureuse d’être là. Cela fait longtemps que je n’ai pas reçu un tel cadeau, une telle harmonie avec la puissance de la forêt, de la terre. Les oiseaux de la nuit chantent partout autour de nous, c’est perçant, doux, ca roucoule, ça s’envole, ca bat des ailes, de temps en temps quand je lève les yeux, j’aperçois la lumière des étoiles dans la trouée des cimes des arbres. Le guide me parle.
- Cet arbre, tu vois cet arbre ?
Je touche le tronc profondément enraciné, j’imagine sa hauteur, la sueur coule dans mes yeux, mes temps battent. Je ne vois plus depuis longtemps, je sens la sève qui circule sous mes doigts. Je lis la hauteur et l’âge dans les nervures de l’écorce, oui je vois cet arbre, oui, j’entends ce qu’il me dit.
- cet arbre quand il tourne ses feuilles, c’est qu’il va pleuvoir. L’arbre, il sait avant tout le monde que la pluie arrive.
La course recommence. J’entends son corps qui se faufile dans les feuillages, c’est tout ce que je sais de lui. Il est là quelque part. Il porte un t-shirt jaune et curieusement quand je pense avoir perdu sa trace, un éclair me remet sur sa piste.
Je cours pour le rattraper, il me guide avec sa voix. Il sait exactement où je suis.
- des serpents? Il y a des serpents? Si je mets le pied sur un serpent?
- C’est moi le serpent, tu ne peux pas mettre le pied sur moi. J’entends son rire dans les feuillages.
A suivre….

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