Revenir aux sources /Part 2

Une Nouvelle écrite par Sophie Nougué

Voir la source, faire le bain… Je marche depuis des heures en répétant ces mots, je ne pense à rien d’autre. Tels un Mantra puissant, ils me tiennent en éveil à chacun de mes pas. Source, bain, go, go ahead! Je m’encourage. Je savais qu’à un moment où un autre, il y aurait un cap difficile à passer, que la fatigue se ferait sentir. Je m’hydrate, j’attrape des bananes dans la poche de mon sac à dos. Manger sans s’arrêter. Respirer, poser un pied devant l’autre, ne pas tomber. Il fait nuit depuis longtemps, seule la lumière des étoiles au travers de la cime des grands arbres. Quand j’ai demandé à Yellow, si je devais prendre une lampe frontale ce matin, il m’a répondu en chuchotant. Ses yeux brillaient comme s’il révélait un grand secret que personne d’autre que moi ne devait entendre:

  • La forêt t’offre tout ce dont tu as besoin pour vivre. A manger, à boire, à sentir, à toucher, à écouter. La nuit, il ne faut pas déranger la forêt. La nuit, c’est comme le jour, tout reste là. Si tu sais voir le jour, alors tu sais voir la nuit, marches en confiance.

De temps à autre, il s’arrête et m’attends. L’agilité avec laquelle il se déplace depuis ce matin en dit long sur le lien qu’il a avec la forêt. Le sol le porte, le soulève, le propulse en avant où sur les côtés. Les branches ne craquent pas sous son poids, les herbes se redressent après son passage, chacun de ses pas témoigne de ce lien magique qui les unit. L’harmonie est en lui à chaque instant de sa vie, ici et ailleurs. Aucune fausse note, pas de décalage. Tout est fluide.

Il cueille des feuilles tout en avançant. A peine le temps pour moi de le rattraper et déjà, il repart. Il a raison. Il sait que si je m’arrête avec le secret espoir de me reposer quelques instants, ce sera encore plus dur de repartir. Rester dans le flot de l’énergie qui circule. Parfois, il m’attend, m’invite à écouter un oiseau de la nuit.

J’avale ou recrache chaque feuille qu’il me tend. Certaines sont très amères, elles me donnent immédiatement un regain d’énergie. Ce ne sont pas mes préférées, j’avale le jus et recrache le résidu de fibres. L’intérieur de ma bouche et ma langue ressentent une douce paralysie, le sang frappe mes tempes par à coup.

Je n’ai aucune idée de l’heure, la nuit me semble moins sombre. Parfois, j’entends des froissements dans les feuilles très près de moi comme si une bête détalait à mon approche. Je me laisse encore surprendre et immédiatement en réaction, j’accélère le pas. C’est d’autant plus étonnant que je n’ai nulle part où fuir. J’imagine que c’est un test. Quand je ne ressentirai plus la peur, je serai en mesure de tout accueillir en harmonie.

Je marche depuis des heures dans le noir sans me cogner à aucun arbre. Je ne sais comment une chose pareille est possible. En rentrant dans la forêt, Yellow m’a demandé de prendre un arbre dans mes bras, je suis restée longtemps comme cela, les pieds au sol, les bras enserrant le tronc. J’ai senti une énergie de dingue me traverser. Je n’ai rien dit, ni bougé. Yellow parlait dans sa langue de chaman. Il chantait et je sentais la sève de l’arbre m’infiltrer, j’ai vu mon père me sourire. J’ai pleuré, j’ai senti sa main se poser sur ma tête.

  • Yellow a dit: en route!

Je marche vite et je ris toute seule. J’imagine le moment où mon front va entrer en contact avec l’écorce lisse d’un géant, je vais m’assommer toute seule emportée par mon élan. Les arbres d’ici sont différents de chez moi. Ils ont un tronc qui s’élève et des racines palmées qui s’ancrent dans le sol. Pour faire le tour de certains, je dois faire treize pas. J’enjambe les racines, et compte jusqu’à revenir à ma première empreinte. Dans l’après-midi, lors d’une courte pause, j’ai essayé de mesurer quelques arbres avec cette technique. J’ai compris que ce jeu les amusait.

Je commençais à compter en tournant autour du tronc et en quelques secondes, je ne savais plus où j’en étais. Je recommençais. Je les sentais vibrer et se tordre de rire. J’ai usé d’un stratagème pour les duper. J’ai posé mon sac au sol et j’ai tourné lentement autour de l’arbre jusqu’à revenir au sac. Il n’y était plus.

Yellow rigolait, j’ai bien sûr pensé qu’à la vitesse de l’éclair, il s’était immiscé pour subtiliser mon repère.

Il secouait la tête en regardant le ciel, mon sac était accroché sur une haute branche. Il lui était impossible de grimper et redescendre aussi vite. Il a tapé dans ses mains, le sac est revenu se poser à sa place.

A suivre prochainement….

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